LUDOVIA#22 : Le séminaire « Territoires et établissements numériques au XXIe siècle » s’est tenu à Ludovia#FR sur deux journées intenses, réunissant collectivités locales, représentants de l’Éducation nationale, chercheurs et EdTech. Plus qu’un simple échange de pratiques, l’événement a dressé un état des lieux lucide : le numérique éducatif se trouve à un carrefour, entre contraintes budgétaires, innovations rapides et nécessité de donner du sens pédagogique aux choix techniques.
Dès l’ouverture, les organisateurs, particulièrement les représentants des entreprises du secteur (EdTEch) ont posé le décor : inquiétudes budgétaires, incertitudes stratégiques et besoin de financements pérennes. Si pour l’instant le secteur est encore positif, les trajectoires sont devenues peu claires et la suite des investissements peu stables.
Les collectivités, tout comme les EdTech, se demandent donc comment maintenir leurs projets dans ce climat d’instabilité.
Un des représentant d’une collectivité présent a redit ce qui semble de plus en plus existentiel : « On ne peut plus lancer un projet numérique sans se poser la question de sa durée de vie réelle, financière et pédagogique. »
Comprendre qui fait quoi
Cette incertitude manifeste sur le futur est augmentée de la complexité de l’écosystème. Le premier atelier a démontré combien il est difficile pour un intervenant quel qu’il soit de comprendre le fonctionnement du système éducatif national. Une avalanche d’acronymes (DNE, DGER, ERUN, DRANE, etc.), des structures aux périmètres mouvants, des interlocuteurs qui changent selon les académies.
Lors de ces présentation, les intervenants ont découvert mutuellement l’existence de nouvelles structures ou fonctions. D’où l’idée, présentée par le Val d’Oise, d’une cartographie maison pour visualiser qui fait quoi et à quel niveau.
Le rôle central des établissements scolaires et de la stabilité des projets
Au-delà des sigles, un constat revient : l’établissement scolaire est l’interlocuteur privilégié pour la collectivité : C’est lui qui donne corps aux politiques nationales et aux choix des collectivités.
Il fut aussi relevé que les territoires les plus stables politiquement sont ceux qui parviennent à inscrire ces relations dans la durée, construisant ainsi une forme de résilience locale. La question de la durabilité est effectivement revenue dans chaque témoignage de collectivité.
Les collectivités ont également raconté combien il est difficile de bâtir des projets solides quand les mandatures politiques changent tous les six ans, ou quand les priorités nationales se déplacent rapidement.
Pour le département Val d’Oise, la stratégie repose sur un équilibre : investissements techniques (réseaux, équipements) associés à un travail constant avec les enseignants et la DANE pour inscrire ces équipements dans les pratiques pédagogiques. En Occitanie, la présence de deux académies (Toulouse et Montpellier) complique un peu la gouvernance, mais la région a mis en place un service numérique transversal qui agit comme point de stabilité face aux changements. En Ariège, département plus rural, la priorité est mise sur des infrastructures solides mais simples, avec un effort particulier sur l’accompagnement local.
Côté Wallonie, la politique présentée a insisté sur l’importance d’un financement pluriannuel, dans ce cas particulier, basé sur le leasing, garantissant une continuité au-delà des cycles politiques. Un modèle qui illustre bien l’idée de résilience : prévoir dès le départ le renouvellement des équipements et sécuriser les financements.
Entre promesses, vigilance et formation, le cas de l’IA
Impossible d’y échapper : l’intelligence artificielle a dominé les discussions. Les intervenants ont souligné les nombreuses promesses de l’IA :
- suivi individualisé des apprentissages,
- identification des difficultés des élèves en temps réel,
- outils d’aide pour les enseignants (préparation de cours, correction, différenciation).
Mais l’IA amène aussi de grandes inquiétudes. La plus forte : le travail se fait “sans filet”, souvent sans cadre clair, et avec un risque de dépendance à des solutions étrangères. La DNE et plusieurs collectivités insistent sur la nécessité de privilégier des solutions locales et françaises, ou européennes (quand elles existent) pour garder la maîtrise des données et garantir une souveraineté numérique.
Autre point soulevé : la formation. Comment préparer les enseignants et les élèves à des usages éclairés ? Comment développer des compétences critiques dans un monde où les modèles évoluent chaque mois ?
Un des participant au panel d’expert l’a exprimé de façon frappante : « Déployer l’IA, c’est une chose. Mais notre vrai rôle, c’est de préparer les élèves à un monde qui n’existe pas encore. »
Évaluer efficacement, passer du comptage à l’impact réel
La seconde journée a débuté sur le contexte d’évaluation des politiques publiques. Évaluation, qui est devenue une priorité, notamment, mais pas seulement, depuis la mise en place des Territoires Numériques Éducatifs (TNE). Il reste cependant un long chemin à parcourir.
Jusqu’ici, l’évaluation se limitait souvent à compter des équipements, des connexions, ou des licences logicielles. Or, l’essentiel est ailleurs : savoir si les outils déployés sont réellement utilisés, si les enseignants se les approprient, et si cela améliore les apprentissages.
Les discussions ont mis en avant la nécessité de penser l’évaluation à plusieurs niveaux et temporalités :
- immédiat : évaluer dès l’installation,
- récurent : suivre les usages au fil du temps,
- sommative : mesurer les effets à moyen et long terme.
La DNE a rappelé qu’elle croise désormais des données issues de multiples sources : systèmes d’information académiques, plateformes comme Pix, voire les remontées des EdTech elles-mêmes. Mais ces données ne suffisent pas : il faut des chercheurs pour en donner le sens, éviter les biais et traduire les chiffres en compréhension pédagogique.
Inclusion et e-parentalité : associer les familles
Les chiffres sont parlants : 13 % des familles n’ont pas d’ordinateur à domicile, et jusqu’à 25 % en zones rurales. Le numérique éducatif doit donc aussi rimer avec inclusion et accompagnement. Et cela prend une autre ampleur quand ces publics participent à des politiques telles que le TNE, où le contexte numérique scolaire déborde sur la vie familiales.
Les témoignages de terrain entendu lors de ce panel très intéressant, ont mis en avant des initiatives originales et pleines de sens telles que :
- des cafés des parents, pour parler numérique dans un cadre convivial ;
- des kermesses du numérique, où les enfants guident leurs parents dans des ateliers ;
- des médiations menées par des associations locales, qui associent écoles et familles.
La dynamique est forte, certaines structures parlent d’une hausse de 300 % des actions en quelques années, preuve de l’intérêt croissant des familles.
Ces initiatives montrent que l’inclusion ne se limite pas à donner du matériel : il faut créer des espaces d’échange et de confiance, où les familles se sentent légitimes et accompagnées.
La résilience collective, une conviction partagée
En conclusion, les participants ont insisté sur une idée simple mais essentielle : penser le numérique éducatif comme un projet de résilience collective.
- Résilience face à l’obsolescence rapide des technologies.
- Résilience face aux changements politiques qui fragilisent les projets.
- Résilience face aux budgets contraints qui obligent à hiérarchiser les priorités.
Cette résilience ne peut se construire qu’à plusieurs : collectivités, État, établissements, enseignants, chercheurs, EdTech, associations et familles.
Tous partagent enfin la conviction que sans vision éducative, la technique reste vide. Sans infrastructures solides, la politique éducative ne tient pas.
Le séminaire était organisé à LUDOVIA#22 par Ludomag en partenariat avec CANOPE OCCITANIE, LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT, REGION DE FRANCE et l’AVICCA avec l’appui de l’AFINEF, EDTECH FRANCE et deux partenaires sponsors : POPLAB LDE et SIGNAL
La synthèse a été rédigée, corrigée et amendée par Sebastien Reinders (ADN Wallonie), Eric Fourcaud LUDOMAG et Emmanuel GEORGES-PICOT de Régions de France.