La Conférence inaugurale de LUDOVIA#19 sur le thème de l’année (“Ethique et sobriété numérique”) a été prononcée dans le grand amphithéâtre par un duo de choix : le chercheur Vincent Courboulay (La Rochelle Université) et la pédagogue Perrine Douhéret (DRANE de Lyon).
Vincent Courboulay a d’abord présenté le constat de la situation, puis Perrine Douhéret a présenté un programme d’éducation à l’environnement.
Le constat avancé par Vincent Courboulay est celui d’une bascule planétaire : nous vivons en même temps la fin d’un monde et l’émergence d’un nouveau. Cette rupture est marquée par des incertitudes planétaires majeures, mais elle nous prépare tout autant à l’action.
Vincent Courboulay souligne crument la dépense énergétique et environnementale liée à la production et au fonctionnement des dispositifs numériques (avec, par exemple, les 150000 litres d’eau nécessaires à la fabrication quotidienne de microprocesseurs pour un seul fabricant à Taïwan). Telle est la marque de l’anthropocène, de ses extractions et pollutions qui atteignent déjà les limites de la planète.
Les services numériques reposent évidemment sur des supports bien réels et, dès lors, sur l’extraction massive de ressources, notamment lors de la production des équipements dans des méga-usines (pouvant compter jusqu’à 100000 travailleurs). Outre la production et l’utilisation, la fin de vie des matériels numériques est évidemment tout aussi problématique.
Le numérique dessine ainsi un nouveau monde. C’est un monde avec de nouveaux dieux (GAFAM, BATX…), hyper-propriétaires monopolistiques des moyens matériels (comme le million de km de fibres optiques privatisées). C’est un monde avec de nouveaux gourous hyper-riches (comme Elon Musk), de nouvelles hyper-messes (les pratiques numériques communes massives), de nouvelles hyper-guerres (les cyberattaques incessantes). C’est un monde où l’intelligence artificielle contribue aussi à l’impact environnemental par l’incessant fonctionnement d’ordinateurs faisant tourner ses modèles.
Le numérique (matériels et services) représente environ 4% des GES émis sur notre planète (ce qui équivaut à 3 fois la France dans ses impacts)… en augmentation constante.
Le défi est de taille, et il est connu : pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (objectif du Pacte Vert européen), chaque Français devra passer de 10 tonnes de GES (gaz à effet de serre) par an à 2 tonnes seulement.
Or, sur ces 10 tonnes annuelles, 450 kg de GES sont émis pour le numérique personnel, soit 1/4 des 2 tonnes par an et par personne qu’il faudra atteindre !
Il faut ici, comme toujours, se poser la question de l’utilité du numérique : quel est usage utile et responsable de l’IA ? Quels impacts environnements du numérique sont-ils acceptables ?
C’est ici que prend son sens le numérique responsable, compatible avec les limites planétaires et la justice sociale. C’est un Green IT (pour réduire son impact environnemental) et c’est un IT for Green (pour réduire les impacts environnementaux en général). L’État s’y engage, avec la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique – qu’il faut utiliser !
L’institut du numérique responsable s’y engage aussi, en proposant, entre autres, une charte du numérique responsable*.
C’est une réponse similaire, dans la dimension éducative, que présente Perrine Douhéret (chargée de projet à la DRANE du site de Lyon) avec un label adapté aux établissements scolaires.
Ce label a été construit sur la base du label de l’INR (voir ci-dessus) et du label Démarche de Développement Durable (E3D) [1]. Le cahier des charges de ce nouveau label a été négocié avec les expérimentateurs, en lien avec les Objectifs du Développement Durable (UNESCO) et le Cadre de référence des compétences numériques (CRCN 4.3).
Perrine Douhéret présente notamment collège Nicolas Conté à Régny, et Collège Jean Vallès au Puy en Velay. Perrine Douhéret et l’équipe à laquelle elle collabore projettent d’accompagner 70 établissements en 2022-2023, principalement dans l’académie de Lyon.
[1] Le label E3D, créé en 2013 est décerné par le ministère de l’Éducation nationale aux écoles, collèges et lycées s’engageant dans une démarche globale de développement durable. Il est renouvelable tous les 3 ans. Le label E3D permet aussi la mise en réseau, par de multiples partenariats (entreprises, mairies, associations…). Ainsi, un établissement E3D propose l’étude de thématiques environnementales et développe des solutions avec toutes les matières et tous les élèves.
En France, ce sont aujourd’hui plus de 7 700 écoles, collèges et lycées qui sont labellisés E3D.
*source : https://charter.isit-europe.org/
Intervenants
- Vincent Courboulay (https://www.linkedin.com/in/vincent-courboulay-7a819732/ , @VCourboulay) est ingénieur et maître de conférences en informatique à La Rochelle Université.
Depuis dix ans, il se spécialise dans le numérique responsable. En 2018, il cofonde l’Institut du numérique responsable, dont il devient directeur scientifique. Il travaille actuellement sur la notion d’intelligence artificielle responsable. Il a récemment publié Vers un numérique responsable – Repensons notre dépendance aux technologies digitales, Actes Sud, 2021. Présentation sous la forme d’un entretien. - Perrine Douhéret (@SVT_DOUHERET) est chargée de projet à la DRANE de Lyon et enseignante de SVT.
Rédaction : François Jourde
Retrouvez la vidéo en direct de la conférence ci-dessous (Veuillez nous excuser pour le son de cette vidéo, parfois avec un bruit de fond, dû à des problèmes techniques rencontrées le jour de la conférence…)