L’enseignement explicite (Direct Instruction ou Explicit Instruction teaching) est une stratégie éducative formalisée par Siegfried Engelman dans les années soixante particulièrement pour les élèves ayant des difficultés d’apprentissages.
Dans le cadre du Project Follow Through la plus grande étude longitudinale en éducation réalisée à l’échelle fédérale aux Etats Unis auprès de 180 écoles, plus de 350 000 écoliers et qui été menée pendant 10 ans, le Direct Instruction a été comparée à une vingtaine de stratégies éducatives. Les résultats de l’étude Project Follow Through ont démontré que l’enseignement explicite dépasse en efficacité les autres méthodes utilisées, que ce soit la pédagogie de projet, l’enquête, la résolution de problèmes, ou autres approches implicites sur les trois points évalués : connaissances de base acquises, savoir-faire, estime de soi.
L’article de Marie Bocquillon, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Antoine Derobertmasure « Enseignement explicite et développement de compétences : antinomie ou nécessité ? » fait état d’études supplémentaires qui démontrent l’efficacité de l’enseignement explicite.
I do – We do – You do :
Ces trois verbes d’action : JE FAIS – NOUS FAISONS- TU FAIS représentent les trois étapes des interventions préconisées par l’enseignement explicite.
JE FAIS : c’est l’étape nommée modelage par laquelle l’enseignant fait la démonstration de la notion à apprendre ;
NOUS FAISONS : c’est l’étape de la pratique guidée. Les élèves pratiquent en petits groupes. L’enseignant s’assure de l’acquisition par tous les élèves des notions, concepts ou éléments à assimiler et fournit des rétroactions jusqu’à l’obtention d’un taux de succès élevé ;
TU FAIS : c’est la pratique autonome. Les élèves pratiquent individuellement jusqu’au sur-apprentissage sous la supervision de l’enseignant, qui diminue graduellement ses interventions au fur et à mesure tout en assurant le transfert des compétences acquises. Source : Marie Bocquillon, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Antoine Derobertmasure « Enseignement explicite et développement de compétences : antinomie ou nécessité ? »
L’enseignement explicite est un peu comme donner la becquée aux élèves. On présente les nouvelles notions par petites étapes. Ajoutons aux trois étapes fondamentales de l’enseignement explicite quelques conseils du fondateur Barak Rosenshine pour mettre en œuvre un enseignement explicite dans la classe :
- Rappel des connaissances antérieures ;
- Présenter les nouvelles notions par petites étapes avec une pratique des élèves après chaque étape ;
- Limiter la quantité de notions reçues en une fois par les élèves ;
- Donner des consignes et des explications claires et détaillées ;
- Poser un grand nombre de questions et vérifier la compréhension des apprenants ;
- Mettre en place de nombreuses occasions de pratique active ;
- Guider les élèves au début de la phase de mise en pratique ;
- Penser à voix haute et proposer des modèles pour chacune des étapes de l’apprentissage ;
- Fournir des exemples de problèmes déjà résolus ;
- Demander aux élèves de verbaliser ce qu’ils ont appris ;
- Vérifier les réponses de tous les élèves ;
- Apporter systématiquement des commentaires et des corrections ;
- Consacrer plus de temps à donner des explications ;
- Fournir plusieurs exemples ;
- Enseigner les notions à nouveau, si nécessaire ;
- Préparer suffisamment les élèves pour le travail autonome ;
- Accompagner les élèves au début de la phase de pratique autonome.
L’enseignement explicite est une pédagogie de nature béhavioriste qui favorise une composante mécanique de l’apprentissage. L’enseignement y est structuré et méthodique. Sous l’appellation d’enseignement par compétences, il se centre aussi sur l’acquisition de compétences, de comportements. C’est la particularité structurée et méthodique de cette stratégie pédagogique généralement opposée au constructivisme, qui en fait le modèle idéal pour l’application de l’intelligence artificielle comme tuteur en éducation.
Pour en savoir davantage sur cette façon d’enseigner voici quelques documents de référence
L’émission Sortie de classe, une émission web du Centre d’apprentissage Ludoka au Québec a présenté une émission spéciale au sujet de l’enseignement explicite le 24 novembre dernier. On peut y entendre monsieur Steve Bissonnette, Professeur au Département d’éducation de la TÉLUQ, s’exprimer avec une chaleureuse passion. Monsieur Bissonnette est considéré par plusieurs l’expert québécois de l’enseignement explicite.
Enseignementexplicite.be
Marie Bocquillon et Antoine Derobertmasure, sous la direction du Professeur Marc Demeuse (Institut d’Administration Scolaire / service de Méthodologie et Formation de l’Université de Mons) adaptent au contexte belge francophone le modèle de l’enseignement explicite (Rosenshine & Stevens, 1986), une approche pédagogique construite à partir de recherches anglo-saxonnes menées dans des salles de classe.
formaplex.com
… le site Form@PEx vous propose des infographies, des vidéos, des diaporamas, des articles, des études, des conférences, des réponses à des questions, des dossiers thématiques, des livres, des mémoires universitaires, une sélection de manuels, des références qu’on peut trouver sur Internet, des liens vers d’autres sites.
Texte explicatif au sujet de l’enseignement explicite : wiki.teluq.ca/wikitedia/index.php/Enseignement_explicite
Intelligence artificielle et éducation
Monsieur François Bocquet, chargé de veille et de prospective à la Direction du Numérique du Ministère de l’Education Nationale, a participé à Ludovia#PF en janvier 2022. L’une de ses intervention traitait de l’avenir du métier d’enseignant avec l’Intelligence artificielle. La présentation de monsieur Bocquet est une remarquable synthèse du sujet. Il y classe les divers usages de l’IA en éducation selon les quatre finalités de métiers :
- piloter l’institution
- piloter un établissement
- pour apprendre
- pour enseigner
Un tuteur en intelligence artificielle ne sera pas un robot humanoïde comme l’image caricaturale présentée au début de ce billet. Par contre, tous les programmes qui rendent possible l’usage de l’intelligence artificielle en éducation existent déjà et nous les utilisons, souvent à notre insu, sur nos appareils mobiles et nos ordinateurs.
Parmi les multiples applications présentées par monsieur Bocquet, intéressons nous uniquement à quelques unes d’entre elles, celles qui permettent la mécanisation des enseignements et des apprentissages : en voici quelques unes. Notre tuteur devra s’inspirer de l’industrie du jeu vidéo qui sait maintenir l’engagement du joueur. C’est la base du succès de l’entreprise. La deuxième caractéristique de notre robot enseignant sera de faciliter l’apprentissage adaptatif, un rêve difficilement réalisable par l’humain, qui maintient l’élève en état constant de réussite. Diverses études de psychologie cognitive démontrent que les échecs répétitifs mènent à un sentiment d’incompétence et même à une perte des acquis et aussi de l’intérêt pour le sujet d’étude. Les échecs répétitifs sont l’une des causes du décrochage scolaire… pourquoi m’entêter à vouloir étudier quand je sais que toutes mes tentatives échoueront ! C’est sur cette caractéristique de la psyché humaine que s’appuie l’apprentissage explicite et explique le succès de cette stratégie pédagogique.
Le projet Voltaire que monsieur Bocquet donne en exemple semble être un tuteur à base d’intelligence artificielle qui démontre tout le potentiel de cette technologie. On peut lire sur son site … Sa force ? Il s’adapte avec précision au niveau et au rythme d’acquisition de chacun afin de garantir un apprentissage ciblé et efficace. Le Projet Voltaire repose sur la technologie unique au monde de l’Ancrage Mémoriel® assurant une mémorisation rapide et durable.
Que tirer de l’expérience de l’apprentissage explicite pour adapter cette stratégie éducative à un tuteur IA qui s’adresse à des écoliers du primaire et même du secondaire, du collège ?
Une importante caractéristique de l’apprentissage explicite qu’il importe de conserver est la présentation des notions par petites étapes. L’élève fera ses exercices jusqu’à la complète appropriation de la notion. L’IA est patiente et créative. Elle saura offrir à l’élève une diversité de jeux qui sauront maintenir son intérêt sans elle-même se désintéresser, être ennuyée par les innombrables répétitions.
Au travail
Développer de telles applications demandent de solides équipes de spécialistes de l’éducation, de l’informatique et coûte très cher. De petits états francophones, comme le Québec n’ont pas les capacités financières de developer avec succès quantités de tels outils d’apprentissages.
Les mathématiques sont une discipline universelle et la langue française est enseignée dans toute la francophonie.
Est-ce rêver ? Imaginer des équipes d’enseignants, éducateurs, spécialistes de discipline et de programme d’études, informaticiens indépendants et entreprises edTech de plusieurs pays travailler ensemble à l’élaboration de ces jeux, de ces applications qui visent l’apprentissage des math et des langues dont une partie de l’acquisition est fondé sur la répétition d’exercices ! Il faudrait toutefois que la «mère patrie» ne cherche pas à dominer les équipes, car ses «enfants» qui tout en respectant la scolarisation à la française n’aimeraient pas jouer les seconds violons.
Un tuteur en intelligence artificielle remplacera-t-il les enseignants ?
Impossible, car l’éducation équilibrée d’un jeune citoyen ne repose pas uniquement sur des apprentissages mécaniques. Les mathématiques et la langue, ces outils de la connaissance sont deux domaines favorisés par un tutorat à la manière de l’enseignement explicite, tous ces drills qui forment la base des savoirs par lesquels l’élève s’ouvre au monde avec succès. L’Intelligence artificielle a la patience de le soutenir dans ses répétitions jusqu’à la maîtrise du savoir.
D’autres domaines d’enseignement demandent d’éveiller l’esprit de l’élève à une observation systématique et critique de la nature et de la culture. L’apprentissage par projets par exemple, n’a pas les même objectifs que l’enseignement explicite. Ça me semble comparer des pommes et des oranges. Être sensible à l’art, à la poésie, jeter un regard interrogateur sur la nature et former l’esprit scientifique des jeunes dépassent l’acquisition de savoirs artistiques, littéraires ou scientifiques.
Les activités proposées par une intelligence artificielle qui sait s’adapter à la diversité des niveaux de savoirs au sein d’une cohorte d’élèves, laisse à l’école la possibilité d’offrir des classes sous forme d’ateliers, de projets à concevoir, à réaliser où les élèves s’initieront au théâtre, à la musique, à l’informatique, à l’édition, à la cuisine et autres activités domestiques, au jardinage, et aussi jouer à être des scientifiques pour comprendre avec le temps la différence entre un fait scientifique et une opinion.
Laissons l’instruction et la réussite scolaire à l’IA, l’éducation et la réussite éducative aux enseignants.